Le jour de ma naissance. Mais dans quoi je suis tombée… Née dans un trou paumé en pleine forêt chinoise, je suis descendante d’un clan en dérive. Il n’y avait déjà plus grand monde avant que mon frère fasse le ménage, mais j’en parlerai plus tard. Tout ce qu’il y a à retenir, c’est que c’était un vieux clan qui s’est fait dévoré par les autres et qu’il n’est pas à regretter. A la fin du siècle, ils avaient des pratiques très étranges. Inceste, magie noire, et pleins d’autres trucs sordides…non, il n’y a rien d’étonnant à ce qu’ils n’aient pas tenus la route. Je n’en garde pas de profonds souvenirs.

Départ du clan familial. Je ne m’en rappelle plus très bien. Mon frère se battant seul contre eux, ça a dû être quelque chose. Même s’ils étaient à peine une dizaine, ça devait être un beau spectacle de voir un jeune oméga contre un alpha à moitié chaman. Mais non, mon cerveau semble avoir fait le tri. Peut-être pour mon bien, peut-être pour que j’avance. En tout cas, je me rappelle juste les deux jours de voyages ; c’était long, mais c’était long…jusqu’à arriver chez eux, les Iriels. J’avais 12 ans.

Arrivée et intégration chez les Iriels. Je me souviens que j’ai été surpris d’apprendre l’existence de d’autres clans. Autre clan, autre mentalité. C’était il y a six ans, et je m’en souviens très bien. Les Iriels étaient très contents de nous recevoir : des loups –non, des louveteaux- solitaires, quoi de mieux pour grossir nos rangs. Des petits jeunes à dresser contre nos ennemis, ça tombe à pic. Oui, je suis très amère envers eux, mais je vous expliquerai pourquoi. Même s’ils se sont toujours montrés très gentils envers nous. Je leur reconnais au moins ça…ils ne nous ont pas jugés, ils nous ont appris le coréen en douceur, et ils m’ont appris à chasser comme à n’importe qui.

Prise de conscience. Pendant de longues années, j’étais parfaitement intègre. J’étais douce, gentille – un peu renfermée, c’est vrai- et surtout docile. Je n’avais pas un mot plus haut que l’autre. Si j’avais besoin d’une aide particulière, j’avais plus que Qiao. Je m’étais faite des amies et des amis que je considérais comme de véritables cousins et cousines. La confiance était réciproque. Jusqu’à qu’un jour, moi et un « cousin » avons à faire à de jeunes Yazurs. C’était l’année dernière. C’est la première fois que j’en voyais. On m’en avait tellement raconté sur eux...j’ai été impressionnée. A moi, ils ne m’ont rien fait –parce que j’étais une fille et qu’on ne frappe pas les femmes- mais mon cousin s’est retrouvé dans de sales draps. Je l’ai rapporté chez nous, en très mauvais état. Mais jamais je n’ai oublié cette soirée…il y avait cette alchimie entre eux, les Yazurs, que je n’avais jamais vu ici…jusqu’au bout ils se battraient, mais jamais seuls. Leur complicité m’avait touché. C’est comme si ils avaient interpellés quelque chose au fond de moi…

Premières violences. Ce jour-là, c’était ma première grosse dispute avec mon cousin. Nous nous sommes plus revus après ça. S’en suivront plusieurs autres disputes qui aboutiront plus ou moins à la même chose. Je n’avais plus rien à voir avec eux. Je ne voulais plus les voir. Je ne veux plus voir personne…du moins, pendant quelques temps. Je ne me sentais plus moi-même avec eux. Je le vois, ils sont trop différents de moi. Rapidement, je découvris en moi une part beaucoup plus violente que je ne le pensais…dommage pour eux, mais je l’extériorisais sur eux. Après les mots, sont venus les coups. Et coup sur coup, je les pliais, et les méchamment mettais à terre. Garçon ou fille.  On me réprimandait, mais ça ne servait à rien : je remettais le couvert deux jours après.

Crise identitaire. Ce que je leur reproche ? Tout. D’être ce qu’ils sont. Trop mous, trop mollassons, trop ouverts d’esprit, trop individualistes…trop chochottes en somme. Pourquoi Qiao les a-t-il choisis ? Eux, franchement ? Plus les jours passent, et plus je vois que ma place n’est pas avec eux…j’ai été accueillie dans la mauvaise famille ; j’en suis persuadée au fond de mon cœur. Ma place aurait été mieux chez eux, les autres lycans…les Yazurs. Oui. Je le vois, ils sont comme moi. En secret, je compte les rejoindre. Je m’en suis faite la promesse. Je mettrai tous les moyens de mon côté pour en trouver, et qu’ils me recrutent... Je n’en ai jamais parlé à mon grand frère. Il ne le tolérerait pas. Pour lui et pour tout le monde, je ne suis qu’une gamine qui fait sa crise « de maturité ». J’ai hâte de faire descendre de leurs petits nuages toutes ces mauviettes.

Ma fugue. Cela fait deux jours que j’ai fugué de chez moi…je ne sais pas combien de temps je vais tenir comme ça. C’est la première fois que je fais ça. Loin des Iriels, loin de mon frère, tout est plus dur…j’ai réussi à trouver un squat ; je n’ai besoin que de chasser pour me nourrir. Mais je trouve les limites de ma vie précaire…j’espère trouver des Yazurs à temps. La faim se fait sentir. La date de ma piqûre est encore loin, mais je me sens à fleur de peau en permanence. Je sens que je vais me carapater si ça continue…