Min Su, sors de tes bouquins !
Il a ce sourire au coin de la bouche, celui qui essaye de se cacher, et entre ses doigts l'ouvrage longuement gribouillé se referme sagement. Flots d'adolescents dans les couloirs du lycée, et cette petite bande semblable à tant d'autres qui lui réchauffe les entrailles, les sourires comme des grimaces peint sur les visages adorés. Alors pour quelques instants volés, il délaisse la physique et les rêves d'avenir pour s'ennivrer de la jeunesse du présent. Ils ne le laisse pas s'en tirer comme ça, jamais, et ça palpite dans ses veines, ça fait des étincelles. Alors, comment se porte Enceladus aujourd'hui ? Soupir aux arômes amusés. Derrière ses paupières closes, il peut presque les atteindre, les étoiles d'un monde qui meurt, les galaxies tellement jeunes depuis si longtemps déjà. Il danse entre les comètes, les doigts tachés de poussière d'étoile. Et le monde physique qui éclate de rire, ce son comme un ouragan, mélodie des torrents que l'énergie de ses amis. Un jour, j'irai tu sais. Dans les prunelles de ces autres âmes qui résonnent comme une symphonie d'espoir, dansent les étincelles, celles qui déclenchent des feux d'artifices. Je sais. Tu leur diras bonjour pour moi.  

Min Su, pitié passe moi tes notes de physique, pitié mec je te devrai la vie !
Bruit assourdissant des conversations entre les murs étroits du petit café. Silhouette familière qui s'affale sur la chaise vide et renaît aux coins des lèvres et dans le pli des paupières les étincelles espiègles. Les doigts qui pianotent sur le tas de notes religieusement rassemblées. C'est quoi ton excuse cette fois ? Et, tu me dois déjà la vie pour l'examen de math, imbécile. Ce son qui roule dans la gorge comme le tonneau sur la mer déchainée, ce rire comme des bulles de champagne sur le bout de la langue. Il laisse son amir s'emparer des quelques feuilles, fruit de son labeur, sa curiosité piquée par l'air mystérieux qui peint le visage aimé. Je suis allé à une lecture de poésie dans un bar mystère hier soir, et il faut que je te présente quelqu'un. Soupir désabusé. Min Su pourrait peindre la scène imaginée comme une fresque de cathédrale, ces adolescents torturés par le mal du siècle dans leurs vêtements trop grands, les cernes qui dévorent les visages pâles tandis qu'ils bafouillent quelques vers maladroits sur une crise dont ils ne savent rien dans un bar miteux qui assure sa survie en ne rechignant pas à leur servir des litres d'alcool bon marché. L'épiderme qui se révulse à l'idée sournoise de devoir s'y glisser dans l'obscurité aux côtés de son ami. Tiens d'ailleurs le voilà. Étranges étincelles qui grésillent le long de sa nuque et les mots qui l'abandonnent dans ce café sans saveur lorsque l'homme se coule à leurs côtés avec la grâce méfiante des félins. Les ouragans dans le crâne de Min Su. Excusez mon retard. Seonh Yeong, enchanté. Et lorsque les paumes s'effleurent dans une poignée de mains désespérement formelle, Min Su bénit la chaise sous ses cuisses qui retient ses genoux de céder. Le poète et l'astronaute s'observent en silence sous la lumière cruelle du coeur de l'hiver.

Blue, laisse ce livre, on sort ce soir. Il lève à peine les yeux de ses cours d'astro-physique , l'angoisse qui plante ses griffes d'acier dans les entrailles hypersensibles. Chaleur des doigts inconnus qui effleurent son poignet, et Yeong au sourire des chats sauvages, des grands tigres et des désastres qui éclaire la pièce poussiéreuse. Je dois vraiment travailler là-dessus tu sais. Trois mois, et les prunelles d'un noir doré continuent d'expulser l'air de ses poumons. Yeong se laisse tomber sur le lit de l'étudiant avec un rire étouffé. Min Su l'observe malgré lui, cet homme de quinze ans son aîné, cet homme aux yeux qui se rident quand il rit, à la bouche qui murmure des promesses de silence, aux mains qui semblent s'envoler pour illustrer. Il a la gorge sèche et aucune envie d'affronter le monde ce soir. Aller, je ne serai pas en ville demain, mais je veux fêter ton anniversaire. Min Su jure intérieurement que s'il doit encore écouter un quinquagénaire lui réciter du Ginsberg sur le ton d'un homme faisant une attaque cardiaque, il partira dans l'espace absolument nu. Et l'or dans les prunelles de Yeong qui semble fondre et pétiller. T'es pas obligé. Il déteste l'amertume qui empoisonne sa langue, il déteste cette journée, il déteste ce souvenir du 14 février, celui où il l'a embrassé, celui où Yeong l'a ignoré, celui dont ils n'ont jamais reparlé, et il déteste avec la rage tremblante qui l'anime l'espoir qui chuchote à la veille de cette journée qui symbolise tellement et résonne avec ces couples qui se retrouveront demain. Alors il voudrait que Yeong sorte de la pièce, qu'il cesse de régner comme un prince aux mille royaumes sur les murs qui se ternissent à ses côtés, sur l'oxygène qui se rebelle dans ses poumons et tant de choses qu'il n'est pas sur de réussir à nommer. Lève toi, aller. On sort. Et son corps qui obéit contre sa volonté, et les bulles de champagne dans les iris qui le contemple avec cette malice qui danse comme l'électricité jusque sur sa peau. Blue ? Le surnom, étrange attribution du poète aux doigts tâchés d'encre de l'étudiant assidu, se glisse sournoisement au creux de ses tympans. Je suis désolée de ne pas être là pour ton anniversaire. L'étudiant enroule un peu mieux son écharpe autour de son cou, mais les geste est interrompu par une main douce sur son poignet. Collision des corps et sous les lèvres le souvenir des nuits enneigées et Min Su découvre les feux d'artifices dans ses atomes comme une symphonie entre leurs peaux.      

Min Suuuuuu, paye ta tournée ! Offusqué, le jeune homme réprime un rire devant la figure éméchée qui titube dans sa direction. Dans un coin du bar, Min Su ferme lentement les yeux, l'alcool crépitant dans ses veines. Dernière année avant d'enfin toucher ses rêves du bout des doigts. Bientôt la formation pour apprendre à valser avec les comètes. Merde, il est nouveau celui-là ! Eclosion d'encre sur la chair, les lignes qui s'entremêlent sur l'épiderme. Le corps comme une toile vierge d'un artiste du verbe, peinture éternelle du poète. Une idée de Yeong. Je vais y aller d'ailleurs. Grognement. Il tient à peine sur ses jambes lorsqu'il quitte le bar en direction de l'appartement qu'il partage depuis six mois. Arômes familiers d'un poète à la bouche rieuse dans un silence qui se glisse dans ses poumons pour l'étouffer. Le vide des murs qui s'écrasent contre sa carcasse. Les mots qui s'étranglent. Résonne soudain un son, inhumain, profond, et l'instinct vieux des millénaires qui hurle dans ses atomes, fuir, se rompre le corps dans une course pour la survie. Silhouette de brume qui se détache soudain dans les rayons de lune. Blue ? Terreur qui rampe et lacère derrière sa poitrine. Le poète, l'homme aux mains qui caressent et aux rire dans les prunelles, comme un monstre de cauchemar. Je voulais t'en parler, Blue, n'ai pas peur, s'il-te-plait. Un an. Et c'est le mensonge qui détruit Min Su, ce sont les secrets, et la créature hideuse sous ses yeux. Alors il fuit.    

Tu sais que tu peux rester ici aussi longtemps que tu veux Min', mais tu crois pas que tu devrais lui parler ? Min Su garde son attention braquée sur son ordinateur, sur les mots qui s'emmêlent de fatigue. Les bras de son ami s'enroulent autour de ses épaules, et l'étudiant se retient de hurler. Deux mois de solitude. Sa chair qui le brûle d'être touchée. Bon. J'ai un cours, je rentre tôt, promis. Ne fais rien de stupide. L'inquiétude dans les mots le gifle cruellement. Quand la porte claque, il est pourtant toujours penché sur ses révisions. La fatigue lui brule les paupières sans qu'il lâche ses cahiers, pas même quand la porte se rouvre et que son ami se glisse derrière lui. Blue ? Electrochocs. Son corps implose et ses atomes se dispersent dans l'univers. Il a l'air fatigué, le poète invincible, celui qui porte le nom des dragons, le monstre des contes de son enfance. Qu'est-ce que tu fais là ? Étrange saveur que la haine sur sa langue. Douloureuse, la honte qui lui lèche les joues. Et Yeong qui tente un sourire qui n'a plus rien de sauvage. Il fallait bien qu'on parle. Cuisante trahison. Pourtant l'instinct a beau hurler comme un ouragan, ses doigts s'électrisent d'effleurer encore les courbe d'un visage qu'il voudrait peindre dans les supernovas. Alors il se rassoit.    

Premier ? De toute la promo ?! Flammes dévorantes le long de ses joues, dans le creux de ses reins, au sein de sa cage thoracique. Yeong et partout, ses bras autour de lui, son odeur qui lui emplit les poumons, et sa bouche... Min Su croit agoniser, mourir du besoin d'oxygène tant la présence est impérieuse pour les molécules de son être. Et les rêves qui se percutent, les nébuleuses et les comètes qui murmurent son nom dans la tendresse du soir. Je devrai commencer l'entrainement d'astronaute d'ici septembre. Ça prendra dix ans avant que je le sois pour de bon mais -- La poète contre sa bouche, les mots qui meurent avant d'éclore. Les mains qui touchent, les mains qui possèdent. Tu seras parfaitement à ta place, dans les étoiles. Min Su se souvient de la chaleur des draps cette nuit là, du silence paisible de la campagne dans cette maison éloignée, de leur foyer, des dents et des soupirs qu'elles n'ont pas su retenir, des confidences et de ce sentiment dévorant, affamé, et des mots sussurés dans l'obscurité.  

Yeong ? Je ressors de chez le tatoueur, je suis à la maison d'ici une heure, tu veux que je prenne quelque chose en chemin ? La réponse est avalée par le grincement des rails du métro. Min Su sent son corps supplier pour une trêve, les muscles épuisés par les heures d'entrainement au centre aéro-spatial et la peau cuisante sous les dernières morsures de l'aiguille. Le poète s'est pris de passion pour les secrets du corps de son amant, pour les histoires qui s'y racontent, et Min Su en illustre désormais une nouvelle et il a hâte de voir les étincelles danser dans l'or des prunelles. Le trajet grignote patiemment les maigres forces de l'étudiant. Chaque atome de son être n'aspire qu'à la douce chaleur du foyer, au silence de la petite maison, aux baisers tendres et aux discussions murmurées dans l'obscurité. Yeong ? Je suis rentré. Froideur du silence comme une réponse sèche, brutale. Les pièces gelées sous ses pieds, la vapeur qui se forme devant sa bouche lorsqu'il expire. Dans le salon, les meubles renversés et les plaies qui ornent les murs compressent ses poumons. L'ombre immobile ravive l'instinct. Cours. Fuis. Ses genoux cèdent pourtant. Sous les paumes, liquide épais de l'hémoglobine. Les traits du poète inerte sous les phalanges tremblantes. Il met du temps à réaliser, Min Su. Les larmes sur ses joues, l'odeur du sang. Et la chair dont le coeur ne bat plus, et quand il réalise enfin, les tornades s'apaisent pour le laisser pleurer.    

Blue ? C'est un nom bizarre ça. Créature du vide, le jeune homme attend patiemment que le lycan affalé sur le bar passe commande. Whisky. Il se retient de cracher dans le verre au moment de servir. Hey, joli tattoo ! Qu'est-ce que c'est ? Les lignes de couleur repeignent les muscles endurcis d'un ancien rêveur. L'autre refuse de le laisser en paix. Il déteste cet endroit. Il déteste ces clients, ces monstres des légendes qui palpitent de vie sous ses yeux. Un jour il brûlera le monde en commençant par le Jwaigui Kkot. Avant, il veut savoir, Blue. Il veut le trouver. Celui qu'il traque depuis presque un an, depuis que les autorités lui ont dit que les meurtres entre lycans, ils préféraient ne pas s'en mêler. Alors les nuits du dompteur d'étoiles se passent entre quatre murs à distribuer du rêve liquide, alors il ment et il promet qu'il les brûlera tous, sauf un, un qu'il gardera pour la fin, un qu'il répandra pièce par pièce à travers la ville. Et son client qui pointe d'un doigt incertain l'explosion de couleur qui orne son épaule. Mon Dragon. Yeong.