Il sentait la pluie venir, malheureusement, il était déjà bien avancé dans sa promenade et l’envie de faire demi-tour pour chercher un parapluie n’était pas au rendez-vous. Comme toujours, vêtements amples, les mains dans les poches, les lunettes de vieillots et pourtant, le visage toujours aussi poupons. Iwan lui-même se demandait comment se faisait-il qu’à trente ans, il n’ait encore presque aucune ride. Même s’il était lycan, il vieillissait, et ses amis de la trentaine portaient le visage qui allaient avec, pour la plupart, il y avait bien évidemment des exceptions.

Belle fin d’après-midi néanmoins, même s’il faisait lourd, le loup appréciait les paysages quand le temps se préparait à l’orage. C’est en admirant les alentours, une légère brise humide venant du lac soufflant sur son visage d’adolescent trentenaire qu’une belle peinture se déroula devant lui. Xena, la douce Xena, assise dans l’herbe, son beau visage mélancolique, et ses lèvres qui s’ouvraient pour laisser sa voix légère s’élever vers le ciel. Elle parlait seule… Ou peut-être que non. Elle avait ce regard qu’Iwan possédait quand il adressait ses pensées à Ha Yi, les yeux rivés vers le ciel. Alors silencieusement, il alla s’asseoir à ses côtés avant de la saluer d’un tendre sourire. « Qu’est-ce qui t’amènes ici ? » demanda-t-il simplement, d’une voix presque effacé. Il avait l’impression de pénétrer un endroit sacré, alors il ne voulait pas casser la pureté du lieu en parlant trop fort. « A qui t’adresses-tu ? » Pas de moquerie dans sa voix, mais une réelle envie de connaître la réponse.

12 Juillet 2016... Voilà seize années qu'Alec les avait quittés. Seize ans qu'il avait laissé un vide en sa sœur jumelle. Un vide que rien ni personne n'a réussi à combler depuis qu'il n'était plus là et qui ne sera très certainement jamais comblé.

Assise au bord du lac, le visage levé en direction du ciel, Xena se demandait si de là-haut son frère jumeau la regardait. S'il la surveillait afin que rien de mal ne lui arrive, tel un ange gardien. Si son esprit restait auprès d'elle comme elle aimait le penser. « Tu vas bien ? » demanda-t-elle naturellement comme s'il allait lui répondre. « Maman et Papa vont bien, ils sont toujours aussi amoureux qu'avant. Je les envie quand je le regarde... Kiba ? Il va bien même s'il est vraiment maladroit. Je ne sais vraiment pas ce qu'on va bien pouvoir faire de lui. » Un petite rire sortit de ses lèvres, mais s'arrêta brusquement laissant place à ce visage mélancolique. « Tu me manques Alec. » Même après seize années passées, il lui manquait, horriblement.

Ne cessant de regarder vers le ciel et ne faisant pas attention à ce qui l'entourait, Xena n'entendit pas les pas et ne perçut pas cette odeur familière qui s'approchait d'elle. Ce ne fût que lorsqu'il s'assit à ses côtés qu'elle le regarda et lui sourit faiblement. Iwan, un iriel qu'elle avait rencontré il y a peu de temps. Un iriel vraiment sympathique et dont la présence était agréable. « C'est ici que mon jumeau a été retrouvé mort. » confessa-t-elle, quittant le visage du trentenaire pour se poser sur le lac endormit. « Aujourd'hui ça fera seize ans qu'il est mort. » Si le temps passait, la douleur, elle, restait. « Et toi qu'est-ce qui t'amènes ? »

« C’est ici que mon jumeau a été retrouvé mort. » Cette annonce était bien trop percutante pour le trentenaire. L’empathie le prit aux tripes tandis que son cœur semblait subitement jouer avec ses nerfs. Le brun comprenait la douleur de la louve, et avait de le peine pour elle, bien plus qu’il ne le pensait, bien trop pour cela soit supportable en vérité. Son regard se perdit sur l’étendue d’eau qui commençait à frémir sous les caresses du vent. Cette eau qui n’avait rien demandé, qui se faisait brutaliser sans raison aucune, comme eux, assis dans l’herbe, mélancoliques. « Il doit avoir bien grandit, là où il est. » Iwan ne savait pas trop pourquoi, mais il avait toujours eu cette impression que les morts ne nous quittaient pas réellement, que dans un endroit inconnu mais pas si éloignés, ils continuaient leur train de vie, sans leurs proches. Mais, c’était sûrement pour se soulager, qu’il pensait ainsi. Pour ne pas s’accabler encore plus du fait que sa femme aient vu sa vie interrompue à cause de lui. Sûrement oui.

« La solitude. » voilà ce qui l’amenait ici. Maladroit, il se massa la nuque sous la gêne, avant d’émettre un léger rire. Le bêta avait l’impression d’avoir perturbé le rituel de la belle, et d’un côté, il s’en voulait. Les nuages commençaient à s’amonceler au dessus de leur tête et Iwan, la tête relevée en arrière, ferma les yeux un instant. « Tu tiens ton frère au courant des derniers événements ? » demanda-t-il, un léger sourire aux lèvres avant de se concentrer à nouveau sur le lac en face d’eux. « Il en a de la chance ! » Étrangement, Iwan n’osait jamais élever sa voix vers le ciel pour parler à sa femme. Sûrement, sûrement aurait-il peur d’une quelconque réponse de sa part, qu’elle soit déçue de lui… Finalement, la croire vivre encore – même si dans un autre monde – n’aidait pas du tout Iwan à faire son deuil convenablement. Quatre ans… « Il est mort… comment ? »

mélancolique. Faible sourire sur les lèvres, la louve dériva ses yeux vers le ciel. « Je l'espère... » Oui, Alec devait être très certainement un séduisant loup là-haut, faisant tourner la tête des femelles et mâles décédés. À son tour, Xena demanda ce qu’amenait l'iriel en ses lieux. La solitude... Une solitude que malheureusement le loup bêta n'allait pas pouvoir trouver.

« Oui. » Chaque année, la louve venait se recueillir près du lac, là où le corps de son frère avait été retrouvé, sans vie, le regard vide. Chaque douze juillet, elle venait lui conter les événements qui sont passés dans sa vie, comment la famille allait et si lui tout simplement lui-même allait bien. Même s'il était évident qu'elle n'aurait aucune réponse de sa part. Un simple « hm » en guise de réponse à la chance qu'avait son frère que sa sœur vienne lui parler même s'il n'est plus de ce monde. Un petit « hm » dont on pouvait clairement ressentir la tristesse pesant encore dans son cœur, même après seize années passées. Les yeux regardant le bout de ses pieds, elle rabattit ses jambes contre sa poitrine, entourant ses jambes de ses bras et posant son menton dans le creux de ses deux genoux. « On l'a tué. Il est mort en se vidant de son sang. » donna-t-elle comme réponse. Xena ne connaissait pas précisément les circonstances de sa mort, mais lorsque les autres loups de la meute l'avait trouvé ce dernier avait perdu énormément de sang, son corps couvert d'une multitudes d'entailles profondes et la morsure dans son cou avait réussi à sectionner la veine jugulaire. Le travail d'un loup à coup sûr, un humain n'étant pas apte à tuer un loup-garou de cette façon. « On n'a jamais retrouvé le meurtrier. Il est très certainement en train de courir encore. Ou peut-être est-il mort ? » Elle se coupa un instant avant de lâcher presque dans un murmure : « Je n'espère pas. » Non il ne devait absolument pas être mort, car c'était de ses mains que ce type mourrait.

Comment dire ? Comment dire à quel point Iwan se retrouvait dans les propos de Xena, comment il ressentait la même douleur qu’elle, et à quel point lui aussi il voulait retrouver le meurtrier de sa femme ; ils étaient les mêmes. « J’espère que tu le retrouveras et que tu lui donneras la punition qu’il mérite. » Pour sa part, Iwan deviendrait la plus cruelle personne du monde. Il le savait, et bien que ce côté de lui lui fasse peur, il s’était résigné, le jour où il trouverait le meurtrier, à lui en faire baver plusieurs jours avant de lui faire souffler son dernier soupir. « Ma femme aussi a été tuée. Un loup solitaire qui lui a croqué la nuque. Trop profondément pour qu’elle survive… » C’était l’heure des confidences. « En voyant le meurtrier, je lui ai couru après. On s’est battu et pendant ce temps… Ma femme mourrait seule. » Il émit un rire gêné, honteux tout en se massant la nuque, le regard perdu soudainement sur les brins d’herbes qui entouraient ses chaussures. « Je l’ai laissée seule. » Il s’en voudra éternellement. Qui sait, sans doute qu’il y aurait pu avoir un tout petit espoir de la voir encore en vie aujourd’hui s’il était restée avec elle. En réalité, il savait que c’était faux, qu’avec son cou arraché, elle n’avait plus de quoi respirer mais Iwan le niait, en bloc. « Je le cherche encore le meurtrier, il s’est enfuit. » Il se tourna alors vers Xena, retirant une petite brindille qui s’était coincée dans la belle chevelure de la brune. « C’est pour ça que je te comprends très bien, et que je te soutiens. » Il garda la brindille dans sa main, l’observant un instant. « Si tu as besoin d’aide, n’hésite pas à venir me voir. » C’était sincère.

En l'écoutant parler de sa femme, de la manière dont elle est morte, Xena se sentait mal et triste pour lui. Oui ça lui faisait quelque chose au plus profond d'elle, même si elle ne connaissait pas plus que ça l'iriel. Elle le comprenait tout comme il la comprenait et ce n'était pas à cause de son côté empathique. Ils avaient vécu la même chose, même si dans son cas c'était son frère jumeau et dans celui d'Iwan, sa femme.« Je remercie, même si je me demande si réellement je le retrouvais un jour.  »  Seize ans, ce n'était pas rien. Ses chances de retrouver cette personne devaient plus proche des zéros pour cents que des dix pour cents. « J'espère que l'amulette que je t'ai donnée, t'aidera à trouver le coupable. »  Elle lui souhaitait de trouver le coupable. Il avait l'avantage de l'avoir confronté et d'avoir sûrement vu son visage. Contrairement à elle qui ne connaissait absolument rien au sujet de l'identité du tueur.

Silencieuse. Xena contempla la sérénité des lieux. Une tranquillité que quelques gouttes de pluie vinrent perturbées. Les yeux levés vers le ciel, la louve se releva doucement alors que la pluie semblait s'intensifier. « Mettons-nous à l'abri. » Tendant sa main à celui-ci pour l'aider à se relever rapidement. « Il y a une petite cabane là-bas. Elle est un peu loin, on va devoir courir. »  Une cabane qu'on avait abandonnée et qui donnait un aspect encore plus sinistre à l'endroit. La louve ne perdit pas de temps et se mit à courir en direction de cette cabane où elle et son frère à l'époque aimait se réfugier avec leur ami. Après cinq minutes de course sous cette pluie battante, ils arrivèrent à l'abri dans la petite cabane. « On est à l'abri. » S'approchant d'une fenêtre, elle regarda l'extérieur. « J'espère que ça passera vite. »